Comment éviter les pièges de l’intrapreneuriat ?

10 mai 2019
Corinne THIERACHE

Depuis plusieurs années, les grands groupes sont de plus en plus bousculés par de nouveaux entrants qui prennent rapidement une place importante sur leurs marchés traditionnels. C’est l’ubérisation représentée aujourd’hui par Amazon, première capitalisation mondiale.

Pour réagir, les entreprises ont fortement développé leurs relations avec les startups, sans que les résultats soient réellement au rendez-vous, notamment en raison d’une différence de fonctionnement et d’attente entre les deux univers dont l’ADN peut être totalement antinomique. On assiste maintenant à un retour vers l’innovation interne, porté notamment par les programmes d’intrapreneuriat.

L’intrapreneuriat, c’est proposer un programme spécifique qui permet à des salariés de développer des idées et des projets comme des entrepreneurs. Et c’est de plus en plus populaire. L’étude Deloitte de 2017 indique que 37% des entreprises proposent un tel programme tandis que 2/3 des salariés sont attirés par les entreprises qui proposent de tels programmes.

Les formats sont nombreux mais, en général, le processus démarre par un appel à projet suivi d’une sélection par un comité ad hoc. Ensuite, les équipes retenues vont bénéficier d’une période d’incubation et/ou d’accélération sur quelques mois, pendant lesquels il leur sera dégagé du temps. Dans certains cas, les salariés se consacrent même à plein temps à leurs projets.

Ce modèle a évidemment beaucoup de vertus, mais il comporte également des risques non négligeables qu’entreprises et salariés doivent connaître et anticiper pour ne pas aller au-devant de graves difficultés.

 

Voici un rapide inventaire des principaux risques :

Déception des équipes non retenues : l’appel à projet initial est généralement accompagné d’une communication conséquente qui incite fortement les collaborateurs à participer. Le taux de projets finalement retenus tournant autour de seulement 5%, cela peut vite créer de la déception.

Propriété intellectuelle : le collaborateur étant issu de n’importe quel service de l’entreprise et affecté pour partie au projet d’intrapreneuriat, ne risque-t-on pas d’avoir des conflits sur la titularité des droits sur les créations et les inventions du salarié et sur la nécessité d’avoir un complément de rémunération, quand ces droits ne sont pas automatiquement dévolus à l’employeur ?

Projet non stratégique pour l’entreprise : suite à la période d’incubation et/ou d’accélération, on peut se rendre compte que le projet est viable mais qu’il n’est pas stratégique pour l’entreprise. Souvent, le salarié voudra continuer le projet alors que l’entreprise souhaitera l’arrêter. Se posera alors la question de savoir comment organiser la possibilité pour le salarié de poursuivre son projet en dehors de l’entreprise qui l’emploie sans que cette dernière soit totalement perdante. Dans le meilleur des cas, le collaborateur sera orienté vers un dispositif d’essaimage, mais comment s’entendre a posteriori sur la valeur de ce qui appartient à l’entreprise et qui serait bien utile au collaborateur pour créer sa startup ?

Échec de la transition du dispositif d’incubation / accélération aux Business Units : même avec le soutien de la Direction Générale, le dispositif d’intrapreneuriat est en général porté par la Direction de l’Innovation et n’est pas toujours bien vu par les directions opérationnelles qui veulent pouvoir compter sur la pleine disponibilité et motivation de leur équipe. De nombreux projets prometteurs sont ainsi malheureusement stoppés parce que les Business Units refusent de prendre en charge le budget qui leur serait nécessaire pour continuer.

 

Quelques pistes de solutions :

Pour la propriété intellectuelle

De manière générale, il est plus facile de prévoir en amont le sort de la propriété intellectuelle que de trouver un accord, au bout d’une épineuse négociation pour éviter un long contentieux judiciaire, une fois que les droits seront nés et que les appétits se seront éveillés à la hauteur des espérances attendues du projet abouti.

Dès lors, il est recommandé de mettre en place dans le cadre du projet d’intrapreneuriat des règles claires. Celles-ci devront aborder la titularité des droits, le sort des droits sur les résultats obtenus notamment quant aux modalités d’exploitation, et la contrepartie financière à prévoir le cas échéant, et ce en fonction du statut et des fonctions du salarié, du secteur d’activité concerné et de la convention collective applicable pouvant prévoir des dispositions en matière de propriété intellectuelle.

Ces différents aspects devront également être pris en compte pour chacun des scenarii possibles. Les entreprises ainsi que les salariés seront alors bien inspirés de se faire assister par des avocats expérimentés dans ce domaine afin qu’ils soient conseillés au mieux pour préserver leurs intérêts et défendre leurs droits.

 

Pour le salarié

Regarder les bénéfices proposés tout au long du programme et s’assurer qu’ils sont cohérents avec ses motivations.

Vérifier la légalité des dispositions de propriété intellectuelle de l’entreprise (voir ci-dessus). Le cas échéant, demander une clarification a priori. En effet, il est fort possible que l’entreprise ne connaisse pas ses obligations et qu’elle doive alors mettre à jour les documents et procédures ad hoc.

Avoir en tête plusieurs scénarii de carrière dans et hors de l’entreprise.

Rechercher des sponsors dans les Business Units dès que possible.

Pour aller plus loin : 3 conseils pour tirer le meilleur d’une expérience d’intrapreneur

 

Pour les entreprises

Proposer de l’accompagnement pendant l’appel à projet avant même la sélection. Proposer aux projets non retenus un dispositif d’incubation allégé. Aider les équipes non retenues à se préparer pour le prochain appel à projet

Clarifier a priori les différentes possibilités pour continuer le projet, y compris en dehors de l’entreprise. Engager les discussions avec les différents départements concernés en amont pour laisser des marges de manœuvres au-delà du cadre légal. En effet, il serait dommage de refuser tout usage de ce qui a été fait sous prétexte que l’entreprise n’est pas contrainte de céder ses droits.

Favoriser les liens entre les projets et les Business Units tout au long du processus et s’assurer que la « bouture » prenne bien au sortir de l’incubateur / accélérateur qui agit comme une sorte de serre.

L’innovation est un impératif pour les entreprises tandis que de nombreux salariés aspirent à plus d’autonomie et d’initiative. Conciliant ces deux objectifs, l’intrapreneuriat est donc un outil très intéressant qu’il convient de sécuriser pour éviter que l’engouement actuel ne soit qu’un simple effet de mode avec son lot de déceptions. Nous espérons y avoir contribué avec cet article.

Dominique van Deth, Consultant en innovation, spécialiste de l’intrapreneuriat et Corinne Thiérache, associée du département IP/IT (INNOVATION) du Cabinet Alerion